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Léah Touitou - Ecriture
5 février 2010

Squat

 

C'était rien, à peine quelques heures éparpillées sur quelques après-midis.

Le temps de découvrir, la rage au ventre, les murs lépreux, les flaques de pisse, l'obscurité des couloirs humides. La crasse sans nom, et les charpentes à nu, les vêtements qui pourrissent suspendus aux grillages, la suie, le froid qui mord,la façade béante, et les tuyaux tordus qui crachent cette fumée noirâtre à peine tiède, qui enfume les pièces, brûle les yeux, noircit les mains.

Les gamins qui se bousculent, les croutes autour de leur bouche, la morve sur leurs doigts, pieds nus dans des chaussures ouvertes à la lame.

Le temps d'avoir honte que ça existe ici, à quelques kilomètres de chez moi, dans le silence des jours, et de n'avoir rien su.

Le temps, aussi de passer au-dessus de la pitié facile, de trouver autre chose. D'oublier la saleté alentour, et voir les visages, apprendre les prénoms.

Serrer des mains, parler un peu, parce que c'est difficile quand on n'a pas les mêmes mots. Dire " vous".

Mais avec les petits, jouer, et rire.

Dessiner des princesses, des voitures de course, des loups et des poissons, des chats, des forêts. Mais toujours, en premier, on m'a demandé des maisons, solides, avec des palissades autour, des grandes portes, un toit avec des tuiles. Des grandes maisons, pour chacun, coloriées à grands traits joyeux, en boule sur une bâche.

Creuser pour retrouver l'enfance, quand vous revenez d'avoir fait la manche, des pièces de centimes dans les poches. Et savourer vos grimaces, vos jeux, vos courses, vos danses bouffonnes, vos  langages inconnus.

Le temps d'apprivoiser à peine les pièces sans murs, sans lumières, sans chaleur, pour y trouver votre présence.

A la télé, dans les journaux, on parle de l'identité nationale, on définit la France en majuscules, en grands guillemets guignolesques, on s'insurge, on se défend, on astique de grandes devises, on répond, on reprend, sur de beaux fauteuils, on nous explique la république, liberté, égalité, fraternité.

Sur le bureau de monsieur le préfet, on a signé votre avis d'expulsion, et dehors c'est l'hiver. Un samedi, je viendrai et vous serez partis, sous peu, dans deux jours, ou la semaine suivante, ou celle d'après. Je ne saurai pas, et sûrement je ne vous reverrai jamais, et c'est une autre honte qui m'arrive, bien pire que celle de ne pas vous avoir Vu, celle de rien pouvoir faire.

Celle d'être ici chez moi, avec de pitoyables mots silencieux.

Pardon.

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Commentaires
L
(14.2.10 11:21)<br /> Youlia : ma Ju, pas Juillet ni Aout, je serai au Cameroun encore ! Tu veux pas attendre octobre ? Et puis, même sans l'Israël on se voit quand ? Et la Roumanie alors ?<br /> <br /> MA, JL : ça me fait toujours plaisir, les petits mots de vos passages, je les attends, maintenant. Bisous.<br /> <br /> Blue Dragonfly : enchantée, joli pseudo ( que d'insectes lettrés sur ce blog ). Merci de la présence silencieuse, j'ai été touchée, émue. Passée par chez toi, ils sont beaux, tes mots.<br /> <br /> Bel Gazou : Mon amie te revoilà par là, et même sur des mots tristes comme ceux-là, ça me fait un grand sourire. Je te fais des bises et te laisse à Bastien Vivès.<br /> <br /> Christian : Merci. Il faudrait pouvoir voter tout de suite, et tout changer d'un coup. Tout va tout doucement, et pas forcément dans le bon sens, et c'est rageant. Je vous embrasse tous les deux.
C
(13.2.10 11:46)<br /> A tous ceux qui lisent ce beau texte, qui se croient paralysés par l'impuissance, je rappelle qu'il y a encore des façons de lutter efficacement, et la première, c'est le vote.<br /> Bravo ma puce, reste sensible.
B
(11.2.10 15:22)<br /> Miss toujours joliCoeur....
B
(10.2.10 11:02)<br /> Il n'y a pas vraiment de mots pour répondre aux tiens, alors je laisse juste une présence silencieuse. Tu n'as pas à avoir honte. Avoir fait la démarche, pris le temps de leur apporter un peu de soleil et dénoncer cela, même avec des mots silencieux, c'est déjà tellement plus que ce que la plupart feraient...
M
(9.2.10 13:00)<br /> Bravo! Comme c'est bien senti et dit.<br /> Bisous,
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