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Léah Touitou - Ecriture
3 octobre 2011

G. comme Guilherme

er1h_collectifpetit

 

Guilherme Hauka Azanga est toujours sans-papiers, et la mobilisation continue : Soutien à Guilherme

Allez voir l'expo, soutenez le mouvement, faites passer.. C'est important.

"Après être passée pas l'école Gilbert Dru, Tarare, la MJC Jean-Macé, Visa pour l'image à Perpignan, l'exposition "Des Chiffres, Un Visage" est de retour à l'atelier Item, impasse Fernand Rey 69001, et ce jusqu'au 8 octobre.

Ouverture du lundi au vendredi de 10h à 17h,
samedi de 14h à 18h,
et sur RDV au 04 78 72 18 40"


Le blog 8h30 rassemble textes et images de soutien à Guilherme et sa famille, dont le mien, écrit en avril 2010 :

"Guilherme,

Il est bien joli ton prénom, c’est ça que j’ai noté en premier, et puis après, j’ai vu ton visage sur quelques photos, sur un mur, sur le net.

J’ai vu tes enfants aussi, ceux d’ici, les grandes qui s’appellent Exaucée et Chloé, les petits Gaël et Dorcas. Au début, c’était du hasard, parce qu’appeler une petite fille Exaucée j’ai trouvé ça beau, parce que les rassemblements se faisaient sur la place tout près de chez moi, parce que ça m’a interrogée, toutes ces mains ouvertes avec un G dedans.

Et puis, j’ai lu, d’abord comme ça, puis avec intérêt, puis j’ai suivi attentivement, et maintenant j’attends.

Guilherme, il est beau ton prénom et on ne se connait pas, parce que par hasard je suis née française, née avec le droit d’être ici, pas toi, Guilherme, on ne s’est jamais vus, mais je la sais ton histoire, j’ai lu les articles, les rapports, toutes ces lettres, ça commence dans un pays qui s’appelle l’Angola, ça commence avec des massacres sur lesquels je ne saurais jamais mettre des mots. Avec ta famille qui meurt, c’est trois mots de rien et ça contient tellement que tout devient silence. Tu as une femme en Angola, et puis cinq enfants, et c’est la guerre, et trois de tes enfants sont confiés à un pasteur, partent au Congo. Cinq enfants moins trois, ça fait deux, il y en a deux qui sont marqués ”disparus ”, et je me tais aussi.

Tu veux quoi comme mots, sur deux enfants disparus, dans ce grand trou de la guerre ?
Tu veux quoi comme mots, sur ta femme qui meurt, crise cardiaque, blessure par balle, Guilherme, je me tais.

T’es parti en France, Guilherme, pour trouver autre, trouver mieux, qu’est ce que je sais ?

T’as rencontré Florence, c’est une histoire avec que des jolis prénoms, Florence, et elle avait une maladie et deux gamines, Exaucée et Chloé. Et t’as pris tout ça, Guilherme, une amoureuse, et sa maladie à bout de bras, et deux nouvelles petites filles. Et cinq ans plus tard, y avait avec vous deux autres bébés, ça faisait une famille, on voit ça sur les photos, on te voit Guilherme, avec cette brassée de mômes autour de toi, ça m’a émue, c’est facile comme histoire, des gamins et leur maman malade et leur papa courageux, c’est facile, c’est vrai et c’est une histoire qui existe juste là, dehors.

T’as fait plein de demandes, Guilherme, des histoires de papiers, de visas de tampons, de ce que tu veux, j y connais pas grand chose, il est ressorti juste que t’avais pas le droit d’être là. Pas le droit d’être avec ta presque femme, pas le droit d’être avec tes mômes.

T’as été en prison Guilherme, parce que t’as refusé de monter dans l’avion qui te ramènerait dans ce chez-toi qui existe pas, parce que chez toi, c’est ici. Deux mois net, à la maison d'arrêt de Corbas, le motif ?
«  Veut pas quitter ceux qu’il aime ? Veut pas retourner là où il a vu mourir ceux qu’il aimait ? »

Mars, t’es sorti de tôle, les flics à la porte, et tu veux la jolie phrase des journaux, c’est écrit : ” Il s’est recouvert de matières fécales pour éviter d’être expulsé” c’est les mots des Importants, parce que nous ici, on dit «  la merde » Guilherme, il faut quoi comme mots pour parler de ça ? Pour dire la merde sur tes doigts, ton ventre, ton visage ? Il faut quoi comme courage aussi, et comme larmes de rage pour faire ça ? Se recouvrir de merde pour pas quitter ce pays ?
Mais la solution, ils l’ont trouvé, Guilherme, une couverture pour cacher tout ça, la merde et la misère, la révolte et l’injustice, des sangles et l’avion encore.

Et puis, le pilote a dit non. Que l’avion décollerait pas dans ces conditions. J’ai pas son nom, à ce type, je sais pas son prénom, je sais rien de lui à part ça, et c’est déjà tout, y a rien de plus à écrire. Il a dit non.

Guilherme, ils t’ont gardé en centre de rétention, en appel, en tribunal, en tôle, en transit avant un autre vol.

Ils se sont battus les gens, les voisins, les amis les parents d’élèves. Ceux qui te voient depuis cinq ans chercher tes mômes à l’école, à la crèche et leur donner la main, ceux qui savent que t’es un père, un presque mari, un compagnon, un homme. Ceux qui savent que t’es pas un numéro de carte d’identité, une bout de statistique à la con. Ils ont signé des papiers, des pétitions, des lettres, ils ont manifesté, investi l’école, appelé les journaux. Ils gueulent encore là dehors.

Ils se sont tous inscrit un G majuscule sur la paume de la main.

Comme Guilherme, comme Garde espoir.

Tu veux que je dise quoi Guilherme, ils t’ont fait décoller de Bron pour la capitale cet après-midi, dans un avion militaire, y avait des flics, des CRS. Ils veulent te faire décoller de Paris cette nuit.

L’avion était à 22h05 et ceux qui était sur place, pouvaient, ceux qui ont su sont partis à Roissy.
Ils y sont là maintenant, ils gueulent là-bas aussi pour que l’avion ne parte pas, avec leur G majuscules sur les mains.
Il est 23 heures 17 et l’avion n’est pas parti, et là bas, à l’aéroport, tout se joue, entre les manifestants, les passagers, l’autorité, la presse.

Je suis chez moi, et je ne peux rien faire qu’attendre, écrire, espérer, cracher des mots pour faire passer plus vite le temps.

Guilherme, on ne se connait pas, j’ai un G sur ma main, ça ne sert à rien, ce G qui palpite sur ma paume sans personne pour le voir, c’est un grigri inutile pour croire que j’y peux quelque chose, que ça peut changer, qu’on peut gagner pour toi,
Guilherme, t’as un joli prénom, je voudrais que tu restes, qui va aller chercher tes enfants à l’école sinon ?"

 

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