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Léah Touitou - Ecriture
26 juin 2012

Lyon encore une fois, quoi qu'il en "soie".

Je suis toujours à Montréal, je parle toujours de Lyon. J'ai fait un deuxième texte sur le " parler gône", sur le thème des Canuts, qui avant les communards et les communistes, sont descendus claquer le pavé. 

Voilà, tout est bien au Québec, il y a des concerts, de la pluie, des guirlandes, on casse des bouteilles en lisant Stefan Zweig, on moule des visages en plâtres, j'apprends à dire des trucs en haitien.

"Hé ma jolie, la belle, comme tu passes là, je te regarde et tout le monde aussi te suit des yeux, tu fais tourner les caboches, t'es bien belle, t'es bien canante, viens t'asseoir là, viens à la terrasse, à côté de moi, prends place, j'en voudrais bien d'une fenotte charmante comme toi, une chérie avec des quinquets grands comme ça... T'es bien jeune, ou t'es pas d'ici, tu sais pas, mais avant, quand Lyon s'appelait Myrelingues, c'était la ville de la Soie....

On nous voyait en 1830 les canuts et les canuses, les ouvriers tisserands, on courrait dans les ruelles avec nos tissus pleins les bras, d'une traboule à l'autre, on passait rapides et besogneux comme des rats, on habitait avant les p'tits quartiers, Saint-Nizier, Saint-Georges et Saint-Jean puis au XIXème, décabanés les canuts, on nous a installés dans les quartiers d'la Croix, quartiers manufacturés aux plafonds de bois construits pour nous les travailleurs de la Soie, maitres tisseurs ou compagnons, et au milieu du siècle on est 120 000 à besogner, moitié à la Croix !

Sur les métiers Jacquard, on tisse on trace la soie, et fil à fil on crée l'histoire, t'entends dans les ruelles, sous les soupentes le bruit de nos machines :

Bissss, on appuie sur la pédale pour lever nos fils

Tan, c'est le bruit du battant

Claque, c'est la navette qui passe et bloque

et Pan, la dernière trame ! On recommence, encore et encore, et indéfiniment, et maintenant, nos machines, c'est les Bistanclaquepans, quatre mètres à la toise, de quoi les croiser nos couleurs, nos fils carmins ocres et turquoises.

C'était pas tous les jours la vie facile à la Fabrique, dans l'industrie de la Soie, fallait amadouer monsieur le commis, faire payer assez d'escalins ton velours, ta soie, et pas trop jabiller avec les négociants, si tu veux pas te trouver chagrin ...C'est pas la joie, c'est pas aisé quand tu travailles tes dix huit heures à la journée, t'as pas le temps de te bambaner...

Et le soir, la nuit, on rentre, les rats dans leurs soupentes, on regarde Lyon qui s'embrume par nos fenêtres, et on nourrit l'oiseau en cage, t'en trouveras un sous chaque plafond, notre alarme de canuts, notre tic-tac à chanson, celui qui guinche nos fuites de gaz et nos risques d'explosions, et au matin, à l'aube, on reprend chemin, on traboule dans les rues blêmes livrer nos soieries, l'argent fait carêmes, on compte nos soucis.

Et des fois enfin c'est dimanche, alors on se balade, on court les escaliers des pentes et du quartier d'la Croix, le long des rampes ils s'amusent, lesp'tits, les gônes, ils débaroulent jusqu'en bas. On s'en va au Rhône, à la Saône rincer nos bras, voir l'eau qui brille pour oublier les coupures sur nos doigts, et on va voir le Guignol au castelet, taper les gendarmes, ca nous fait rigoler, on oublie que c'est nous les p'tites gens, on oublie le travail pour un p'tit temps.

Les plus chanceux partent se promener à Saint-Fons, cueillir les dents de lion, ils s'en feront une salade au prochain mâchon, et le soir, aux bouchons, on boit nos canons, c'est le Beaujolais qui nous fait chanter encore et encore la chanson des canuts, chante qu' on brode d'or et de lumière les habits des Puissants, leurs chasubles et leurs vestons, leur soie vient de nos poussières, mais que nous pauvres canuts, on n'a pas de linceuls à l'heure du cimetière, on chante Lisette la canuse qui tisse et tisse les révolutions à venir sur les machines de l'avenir.

Tu sais, nous les canuts on est des vrais de vrais, quand on a été colère, ça a été la première Révolte Ouvrière en novembre 1831, on a vu nos soies en peaux de chagrins, à compter et recompter ses escalins pour de quoi vivre, un morceau de pain, alors aux places, aux cours, aux traboules, aux terrasses, à la criée, tu nous entendais dans tous nos quartiers "Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant!"

Et en 34 encore, les canuts ont tenu le parloir sur le pavé, grand battage dans la cité, six jours contre les soldats sans se faire agrapper, et on s'est tarabâtés encore, en 48, en 49, c'est les Voraces qui ont porté Lyon et nos misères, sans bavasses ils se sont battus encore....

Hé ma jolie, ma fenotte, tu sais tout ça mainant, va-t-en courir dans nos traboules, t'entendras nos Bistanclaquepans qui chantent encore nos canuts à tous les vents..."

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Commentaires
M
J'adore ce message qui me renvoie illico à ma jeunesse, au temps où la Mère Cotivet sévissait à la radio, au temps où on employait ces expressions typiquement lyonnaises...Merciiii
L
Merci ! Le Québec était formidable.
M
Comme tu parles bien de Lyon et des canuts!<br /> <br /> Continue à bien te régaler au Québec.<br /> <br /> Bisous
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