Je l'ai lue.

J'avais peur, j'avais chaud, mes mains bougeaient toutes seules, les mots se brouillaient un peu.

J'avais dit que je participerais à cette soirée, que je donnerais un texte, quelques pages envolées.

J'étais devant tous ces gens, et je me suis mise à lire.

C'était la lettre que je t'avais écrite il y a deux ans.C'était la lettre de tes bras autour d'une autre fille, sous mes yeux, de tes baisers sur ses lèvres, sous mes yeux, par hasard. C'est tous les mots que j'avais hurlé silencieusement ce jour-là.C'était la lettre que j'ai porté avec moi, dans ma tête, sur mes doigts, sous mes paupières pendant des heures, des jours, des nuits. C'était la lettre écrite pour ne pas pleurer, pour ne pas crier. Toutes ces phrases écrites, corrigées, relues, réécrites, raturées, peaufinées, pour ne plus en faire qu'un texte de plus, que des mots de plus, pour m'habituer, pour me convaincre. C'était cette lettre rangée depuis deux ans, jamais envoyée jamais lue, lettre de chagrin et de jalousie.

Et je l'ai lue.

Devant tous ces gens.

J'avais peur d'être bête, d'être sentimentale, d'être trop personnelle, d'être idiote, grandiloquente, puérile, légère, répétitive, lassante, inintéressante. J'avais peur de bafouiller, de rougir, de lire trop vite, trop lentement, mal, trop bas, trop haut. Je pensais à tous ces gens, là autour.

Puis j'ai dit les premiers mots, puis ceux d'après, et les phrases ont coulé comme un ruisseau et les larmes me sont venues aux yeux pendant que je lisais.

J'ai lu cette lettre et il s'est passé quelque chose à l'intérieur, une fêlure, quelque chose comme le deuil d'une histoire d'amour.

Tu ne la sauras jamais cette lettre, toi que je regrette si souvent.

Tu ne le sauras jamais, ce soir de hasard ou je t'ai vu enlacer une autre que moi, ce blanc strident dans ma poitrine quand tu l'as embrassée.

Tous ces gens qui ne me connaissaient pas l'ont su.

Et c'était peut-être, surement, bête, sentimental, trop personnel, idiot, grandiloquent, puéril, léger, répétitif, lassant, inintéressant.

Mais ça m'a fait du bien, vraiment.